Chap. 1
IRIS
Chapitre 1 – Une rencontre
"Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen. Paix à vous tous !" Le prêtre avait commencé son discours. La jeune femme avait toujours détesté les enterrements. En particulier cette cérémonie où un religieux parle du défunt comme s'il le connaissait tout en déblatèrant des inepties sur un supposé dieu tout puissant qui accueillait son âme au ciel. Non. Elle n'était pas croyante. Et cela rendait le discours du prêtre très désagréable. En réalité les paroles de l'homme lui était insupportable, d'autant plus que la personne dont on célébrait les funérailles lui était très chère. Alors elle se leva et sortit de l'église. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle entendit quelques personnes se retourner et chuchoter, sûrement pour l'accuser d'un manque de respect envers le défunt. Elle trouvait ça ridicule, si quelqu'un pouvait prétendre avoir connu et chéri l'homme décédé, c'était bien elle. Puis la porte se ferma et se fut le silence complet. Son oncle avait choisi un village en pleine campagne pour cette raison. Pour un repos paisible dans l'Au-Delà, un silence absolu. Enfin presque. Un léger bruit répétitif à peine audible atteignait son oreille. Ce bruit, il venait d'un homme. Celui-ci se tenait à quelques mètres de la porte assis contre le mur de l'église dont elle sortait. L'homme semblait plutôt jeune, elle lui donnait 25 ans, il avait des cheveux bouclés, bruns et coupés courts. Yeux marrons, il avait un corps plutôt élancé dans l'ensemble et la peau bronzée. Il jouait avec une petite pierre bleu pâle qu'il lancait puis rattrapait de la même main encore et encore.
"Vous voulez bien arrêter ?" demanda t-elle d'un ton énervé en arrivant vers lui. Il sursauta et fit tomber la pierre au sol.
"Euh oui... Excusez-moi." il sourit alors un peu gêné. La femme décelait quelque chose d'expressif dans son visage, son sourire était honnête. Cela la décrispa, elle s'adoucit immédiatement et ramassa la pierre tombée avant de la redonner à l'homme assis. Elle crut entendre quelqu'un l'appeler, elle se retourna mais elle ne vit rien. Alors il la remercia et elle s'éloigna. Elle alluma une de ces cigarettes toutes fines. Elle fumait depuis trop longtemps, il allait être temps qu'elle arrête. C'était ce qu'elle se disait quand elle se rendit compte qu'il la fixait. Il avait un regard presque obscur, elle s'y enfoncait et il la mettait terriblement mal à l'aise. Elle sentait son regard appuyer sur son être quand il brisa le silence :
"Vous fumez ?" demanda t-il de but en blanc.
"Oui, vous avez un problème avec ça peut-être ?" répondit-elle à moitié sarcastique.
"Oh moi non. Votre corps peut-être. J'ai entendu dire que l'on perdait vingt minutes de vie pour chaque cigarette fumée en moyenne.", la manière neutre avec laquelle il avait dit ça la fit soupirer.
"En réalité c'est environ 27 minutes si l'on considère que le fumeur consomme 20 cigarettes par jour pendant 40 ans et que son espèrance de vie diminue de 15 ans à cause du tabac. Je vous épargne les calculs."
"Whoah ! Vous êtes une spécialiste ?" demanda t-il, manifestement impressionné.
"Non, je ne le suis pas. C'est durant mes études que j'ai appris ça."
"Oh, et quel genre d'études vous avez suivi ? Et où est-ce que ça vous a mené ? Vous faîtes quoi à présent ?", l'homme l'agacait. Il avait commencé à poser des questions indiscrètes sur elle et malgré le sourire charmant qu'il arborait, elle n'avait pas envie d'y répondre. Cet homme la mettait mal à l'aise. Elle ne mentit pourtant pas.
"Je fais psychiatre, en cabinet. Mais dites-moi monsieur, qu'est-ce que vous faîtes ici d'ailleurs ?" son énervement contenu était visible et elle espèrait qu'avec cette question l'homme s'en irait d'une manière ou d'une autre.
"Et bien... Je suis là pour l'enterrement, comme vous non ?", l'information la calma tout de suite. L'homme qu'elle venait presque d'agresser connaissait le défunt.
"Vous êtes là pour Clarent vous aussi ?" demanda t-elle, à présent avide d'en savoir plus.
"Oui, c'était mon père."
"Oh, je suis désolée. C'était mon oncle. Mais.. Attendez votre père ?! C'est impossible ! Je connaissais mon oncle comme si c'était lui qui m'avait conçu et il n'a jamais eu d'enfants !" s'écria t-elle, incrédule.
"Et il n'a jamais eu qu'une femme dans sa vie, c'est ça ?", la jeune femme semblait assommée par les informations que lui apportaient l'homme. Elle souffla lentement pour se calmer.
"Bien. Admettons que je ne le connaisse pas si bien. Vous seriez donc son fils ?" lui demanda t-elle à moitié convaincue. Elle inhala de la fumée de sa cigarette. Il observa quelques secondes les volutes grisâtres s'échapper de la bouche de son interlocutrice et lentement s'envoler dans les airs, puis son regard redescendit vers elle et il répondit.
"Clarent a eu deux femmes au travers de son existence. La seconde est Elodie, celle que vous connaissez. Ma mère était la première. Je suis son fils unique. Gaetan." annonca t-il sans émotion.
"Ah oui ? J'ai du mal à vous croire. On ne m'a jamais parlé ni de la première femme de Clarent ni de vous."
"Pourtant j'existe. Et si vous êtes sa nièce vous devez être Iris, non ? Si c'est le cas, sachez que mon père parlait beaucoup de vous. Il vous adorait. Vous deviez être très proches." il s'était fermé psychologiquement à présent et elle l'avait remarqué. Tout à l'heure cela lui aurait plu mais Gaetan venait d'avoir juste : Elle s'appelait bien Iris. Et par conséquent il y avait de grandes chances qu'il soit bien son cousin. Et maintenant elle voulait en savoir plus sur lui. Mais avant ça il fallait l'ouvrir à nouveau. Elle s'adressa alors à lui d'un ton plus avenant que plus tôt.
"Dites-moi Gaetan, en tant que membres de la même famille on peut se tutoyer maintenant, non ?"
"Comme vous voulez.", la réponse était froide. Iris sourit. Elle fit tomber la cendre qui s'était accumulée au bout de sa cigarette en la tapotant puis elle alla s'asseoir au pied du mur à côté de Gaetan.
"Bon alors Gaetan. Qu'est-ce que tu fais dehors au lieu d'assister à l'enterrement toi ?"
Le sifflement retentit. Le train commenca à avancer lentement vers la capitale. Iris s'était réservé une place en première classe, côté fenêtre. Elle adorait se placer près de la fenêtre, ce côté lui permettait de s'endormir en regardant les paysages défiler. Elle s'étira. Puis elle appuya sa tête contre la vitre et admira les terres qui passaient en se laissant aller à ses pensées. Le fait de tutoyer Gaetan avait atteint l'objectif escompté : Il s'était mis à l'aise avec elle. Ils avaient parlé pendant longtemps ensuite. C'était un homme plutôt joyeux, très optimiste, et un peu espiègle également. Ils avaient plaisanté un peu et partagé énormément de souvenirs de son oncle. Ils lui avaient fait leur cérémonie à eux. Et ce n'est pas tout. Il se trouve que Gaetan habitait lui aussi Paris ! Et qui plus est, il se préparait à changer de profession. Il envisageait de quitter la profession de chauffeur de taxi pour s'engager dans la psychologie de cabinet. Arborer les routes de Paris avec ses clients l'avait forcé à côtoyer ses semblables, les écouter, leur parler, les observer. Et ce contact constant avec les autres lui avait apporté un semblant de psychologie. Et Iris avait pu en témoigner lorsqu'il avait expliqué lui-même la technique qu'elle avait utilisé pour le mettre à l'aise : "Le tutoiement pour nous rapprocher, enlevez de la distance sociale entre nous. Ainsi que le fait de s'asseoir à côté de moi dans la même position, ce qui touche plus aux comportements animaux : Tu tentes d'avoir un peu plus de ma confiance en agissant comme moi." Il hésitait donc à entrer dans le domaine de la psychologie. Or, Iris était elle-même psychiatre de cabinet. Elle lui avait donc proposé tout naturellement de venir visiter son cabinet un de ces jours lorsqu'elle serait de retour à Paris, environ deux ou trois jours après l'enterrement. Il avait accepté avec enthousiasme puis ils avaient échangé leurs adresses et numéros de téléphone respectifs. Maintenant qu'elle y pensait, elle trouvait bizarre le fait d'avoir eu assez confiance en un homme rencontré le jour même pour lui donner son adresse et son numéro, qu'il soit un cousin ou non. Ca n'était pas du tout son genre. Surtout alors que l'interlocuteur était un homme. Mais lui c'était différent. Il ne dégageait pas la même chose. Ou peut-être était-ce juste ce visage expressif et cet air espiègle qui lui rappelaient Clarent... Iris n'arrivait pas à dormir. Finalement ce Gaetan l'avait déstablilisé et il l'intriguait de plus en plus. Cela la dérangeait d'autant plus qu'habituellement elle n'était pas si facilement touchée.